Quelle gouvernance pour le système de santé suisse?
Une courte majorité de la population – contre l’avis des Romand·es – a accepté récemment les modifications de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal) connues sous l’acronyme EFAS.
Les compagnies d’assurance auront plus de marges de manœuvre, les cantons un peu moins, et les gens – vous et moi –, en particulier s’ils doivent faire un séjour hospitalier, devront payer plus, surtout celles et ceux qui auront opté pour une franchise élevée. Rappelons que ces mêmes assureurs ont à la fois un portefeuille LAMal (assurance obligatoire des soins) et un autre d’assurances complémentaires, et seront tentés de limiter les prestations obligatoires (comme le libre choix du médecin) avec l’argument de ne pas trop augmenter les primes de base, pour proposer de garantir lesdites prestations via un contrat privé. Qui pourra se l’offrir? |
Bien. Ne soyons pas mauvais perdants: on nous a promis des baisses des coûts de la santé et des primes maladie qui augmentent moins, dont acte. Il faudra s’en souvenir chaque mois de septembre de ces prochaines années, quand viendra l’annonce des montants des primes LAMal de l’année suivante (plus de 6% en moyenne nationale pour 2025!).
Mais quand les défenseurs du projet considèrent EFAS «comme la plus grande réforme du système de santé depuis l’introduction de la LAMal en 1996», permettez-moi d’être plus nuancé. En effet, cette votation ne remet en rien la question de la gouvernance du système de santé. On continue comme avant, mais on répartit la facture différemment: les médecins ne sont pas touchés et viennent de signer un nouveau tarif qui entrera en vigueur en 2026 (TARDOC), qu’ils ont négocié âprement; les pharmas gardent leurs prérogatives; les assureurs jubilent; les cantons devront payer moins et se satisfont de ce fait, même s’ils perdent en capacité de pilotage.
Une étude récente du centre universitaire Unisanté de Lausanne, intitulée «Analyse de la gouvernance du système de santé suisse»1>Unisanté, «Analyse de la gouvernance du système de santé suisse et proposition d’une loi fédérale sur la santé», Raisons de santé 354, février 2024, https://tinyurl.com/22remev7, montre quelques pistes pour sortir d’une simple lutte entre lobbyistes aux intérêts divergents qui nous prend, population et donc assuré·es, en otage et nous laisse désarmé·es pour freiner les coûts de la santé. Cette analyse part des constats que «le système de santé reste principalement centré autour du système de soins avec la persistance d’un très fort focus autour des soins médicaux, techniques, aigus et stationnaires». La promotion et l’éducation pour la santé restent peu visibles, et ce, malgré le fait que les facteurs de risques de tomber malade, et les déterminants sociaux sont bien connus, comme le tabagisme, la sédentarité et l’obésité: on soigne de mieux en mieux le diabète dont les cas explosent ou le cancer du poumon avec des traitements qui souvent coûtent très cher, mais les actions en amont peinent à trouver des majorités politiques pour mettre en place des stratégies de prévention.
Doit-on rappeler qu’en 2012 un projet de loi sur la promotion de la santé a échoué au Conseil national, après sept ans de travaux, de consultations et de débats? Que dire des obstacles empêchant la mise en place d’un cadre légal pour une vraie protection des mineurs contre le tabagisme, ou des entraves relatives au renforcement des soins infirmiers pourtant voulus par le peuple à la suite d’initiatives constitutionnelles remportées? Ou encore de l’impossibilité de limiter le sucre ajouté dans les aliments ultra-transformés ou les boissons sucrées, voire, plus récemment, du débat surréaliste aux Chambres fédérales concernant le Nutri-Score?
L’étude citée plus haut conclut que «c’est la gouvernance du système de santé qui est pointée comme étant particulièrement complexe et peu favorable à son pilotage et à son évolution». Elle prône le développement d’une stratégie nationale de santé et/ou une loi cadre pour réduire la fragmentation du système, dont elle relève les iniquités multiples, particulièrement en matière de subsides pour les primes maladie, dont le niveau diffère selon les cantons, mais aussi en termes d’offres de soins ou de programmes de prévention.
Cela devrait passer par plus de collaboration et de coordination entre cantons et Confédération, peut-être en créant des grandes régions de santé et, surtout, en élaborant une vraie loi fédérale sur la santé, transversale et comprenant à la fois un volet de santé publique et un volet d’organisation des soins. Dans cette étude toujours, l’Institut de droit de la santé (IDS) de l’université de Neuchâtel propose différentes possibilités d’ancrage d’une loi dans le corps législatif fédéral. Ceci constituerait une «vraie réforme du système de santé», et probablement une manière plus sûre et plus démocratique d’assurer l’accès aux soins pour toutes et tous selon les critères de l’OMS2>ageingsociety.ch/fr/resources/cadre-de-reference-la-strategie-de-loms/, tout en contenant les coûts.
Peut-être qu’une initiative populaire à ce sujet serait utile (en parallèle à celle sur une caisse publique)?
Notes
Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.